Pourquoi ce moment pourtant si ordinaire — se découvrir, échanger, créer un instant — semble-t-il devenu si chargé, si risqué, si précautionneux ?
Les échanges dansent souvent autour de l’essentiel sans jamais le nommer.
Des messages mesurés, pensés pour ne pas trop dire. Des réponses timides, vidées de ce qu’elles auraient pu avouer. Des envies retenues. Des silences soigneusement placés.
Pourquoi avons-nous appris à camoufler nos émotions, à parler à demi-mot, à retenir ce qu’on ressent, même quand c’est là ?
On évite de poser des mots clairs. On parle à demi-voix, à demi-cœur.
Les questions importantes sont alors dissoutes dans un silence pratique. Les envies, travesties en sarcasmes. L’ambiguïté, préférée à l’évidence.
Et qu’est-ce qu’on perd, exactement, à force de se contenir ? Pourquoi est-ce qu’on préfère s’effacer plutôt que d’être maladroit ? Pourquoi l’honnêteté semble inconfortable, comme si elle bousculait déjà trop ?
On vit dans une époque où exprimer quelque chose de sincère, de confus, de vulnérable — c’est presque être à découvert.
Presque perçu comme une faiblesse. Une perte de contrôle.
Dire ce qu’on ressent semble parfois trop… Trop direct. Trop risqué. Trop tôt. Trop tout.
Alors les mots sont dosés. Les gestes, détournés. Nos cœurs recouverts d’un filtre, comme nos photos. Beaucoup apprennent à se protéger avant même d’avoir été touchés. Alors tout devient dilué. Presque vide.
Derrière cette maîtrise : une peur discrète.
Peur de dire. Peur d’être jugé. Peur d’aimer sans retour. Peur d’avoir trop donné… ou pas assez. Peur que l’autre s’approche trop et que ça devienne réel, qu’on ne sache pas quoi en faire. Peur que l’autre s’éloigne en découvrant ce qu’on ressent vraiment.
Alors les émotions s’enrobent. En prudence. En humour. En légèreté. Mais même maquillées, elles savent encore comment étouffer ce qui voudrait vivre.
Celles qu’on croise, celles qu’on garde
Il y a mille façons de se rencontrer.
Un regard échangé dans un lieu inattendu. Un match. Un message. Une discussion prolongée. Un voyage, une maladresse… et tant d’autres.
Il y a ces débuts doux, flous, prometteurs.
Ceux qui glissent lentement vers l’absence.
Ceux qu’on n’a jamais osé incarner.
Et puis il y a les autres.
Ceux qui s’embrasent.
Ceux qu’on a vécus pour de vrai, même brièvement.
Ceux qui n’ont pas duré, mais qui nous ont marqués.
Ceux où l’on s’est laissé approcher. Entendre. Voir.
Ceux qui nous ont appris à aimer un peu mieux, un peu autrement.
Toutes les rencontres ne deviennent pas des histoires.
Mais elles laissent des empreintes.
Certaines nous réveillent. D’autres nous bousculent.
Certaines nous font rêver. D’autres nous ancrent.
Il y a celles qu’on attendait. Et celles qui nous ont pris par surprise.
Et puis il y a celles qu’on n’a pas su vivre.
Celles qu’on a fuies. Celles qu’on a trop retenues, trop pensées. Celles où l’on aurait aimé dire… mais on ne l’a pas fait. Celles où l’envie de l’un a fait peur à l’autre. Celles qu’on a freinées par peur d’y perdre quelque chose. Celles où ce qu’on ressentait était trop nu — et l’autre n’a pas su y répondre. Et celles où l’on ne savait pas encore ce qu’on ressentait, mais où quelque chose aurait pu naître.
Celles qu’on fantasme, celles qu’on fuit
Il y a aussi ces liens qu’on a projetés. Ceux qu’on a idéalisés. On a cru au potentiel, aux coïncidences, aux promesses invisibles. Et on s’est laissé happer par le fantasme, par ce qu’on avait envie d’y voir.
Et puis il y a les distances. Géographiques, temporelles, émotionnelles. Deux personnes qui essaient, mais pas en même temps. Pas avec la même intensité. Et alors que tout aurait pu commencer, tout s’éteint doucement.
Pour d’autres, il semble plus simple, presque normal, de disparaître sans mot. Un retrait furtif. Une absence feutrée. Mais qui laisse une trace trouble. Comme si, là encore, dire les choses était trop. Comme si nommer les émotions les rendait trop vraies. Trop lourdes. Trop engageantes.
À celles qui déplacent quelque chose
Alors ce texte est pour elles.
Pour toutes ces rencontres qui ont fait battre notre cœur d’une manière ou d’une autre. À intensité variable, parfois en voltige.
Les vivantes. Les ratées. Les presque.
Celles qui n’ont jamais commencé, et celles qui ont tout changé. Celles qui nous ont rapprochés de nous-mêmes. Celles qui nous ont appris à nous dévoiler. À être clairs. À être vrais. Celles qui ont laissé une mémoire dans la peau, dans la tête, dans la présence. Celles qui ont construit quelque chose en nous. Même incomplètes, même inachevées, elles ont ouvert des portes. Brisé des silences. Fait tomber des murs.
Et si le “je” entre ici, c’est pour leur dire merci.
À celles qui ont mis en lumière une part de moi. Qui m’ont permis de mieux comprendre mes désirs, mes limites, mes peurs.
Celles qui m’ont aidée à guérir ce qui restait enfoui. À voir plus clair dans ce que je fuyais. À me réconcilier avec ce que je laissais trop souvent de côté. À m’ouvrir un peu plus. À avancer, même dans le doute.
Certaines m’ont appris ce que je ne voulais plus. Et ce que je n’étais plus prête à offrir à moitié. D’autres ont affiné mes contours. Fait apparaître ce qui comptait, et ce qui pesait. Mis des mots là où je n’en trouvais pas. Montré qu’on peut être accueilli sans se retenir. Qu’une douceur peut aussi être ancrée, fiable, entière. Et qu’on peut être enlacé, sans se sentir enfermée.
Il y a eu celles qui m’ont mise face à moi-même, sans détour. Celles qui ont adouci ma manière de me regarder. Et celles qui m’ont rappelé que je pouvais m’habiter tout entière.
À celles qui, parfois sans le savoir, ont déplacé quelque chose en moi.
À celles qui m’ont rendue plus vivante.
Les débuts suspendus
Et puis, il y a les débuts.
On se cherche entre les mots, entre les silences. On partage des fragments choisis. Des bouts de nous. Une version de soi qui charme. Un message anodin qui attend plus qu’une réponse. Une playlist comme un clin d’œil. Deux voix qui s’étirent, qui créent un fil. Des sourires dissimulés dans l’humour.
Et sans trop s’en rendre compte, on investit un lien, sans toujours savoir pourquoi. Flou. Fragile. Mais réel.
On avance à tâtons, sans nommer, sans définir. On reste dans le signe subtil.
Et puis parfois… ça s’essouffle. Pas de heurt. Pas de fin. Juste un lien qu’on cesse de nourrir. Peut-être parce qu’on n’a pas su, ou pas pu, habiter ce qu’on ressentait. Pas su comment dire, demander, ou recevoir. Ou simplement parce que les rythmes ne se sont pas rejoints.
Alors on retient. On laisse deviner.
Parfois, ça dure des jours. Des semaines. Des mois. Et un jour, le lien se délite dans un silence devenu trop vaste pour deux.
Et parfois, il faut aussi réapprendre à se choisir. À se détourner de ce qui nous use. À s’éloigner de ce qui joue. À se préserver de ce qui se nourrit de nous sans jamais se montrer vraiment.
Et il y a ceux pour qui montrer son intérêt semble risqué. Comme si se dévoiler rendait vulnérable, donc perdant.
Et pourtant… Parfois, on ne veut pas perdre le lien. Mais on ne veut pas non plus le vivre vraiment. Alors on reste en surface, en équilibre. Juste assez présent pour ne pas disparaître, jamais assez pour s’y impliquer.
Ceux qui osent
Heureusement, il y a aussi ceux qui osent.
Ceux qui disent : « Je ne sais pas ce que ça donnera, mais j’ai envie d’essayer. » Ceux qui ne demandent rien d’autre que des instants vrais. Ceux qui se laissent atteindre, même sans promesse. Ceux qui n’ont pas peur des nuances. Qui avancent sans tout savoir, mais sans fuir. Ceux qui ne jouent pas à deviner, mais qui demandent. Ceux qui restent, même quand tout est encore fragile. Ceux qui vivent, sans armure.
Ceux avec qui on a été vrai. Avec qui on a tenté.
Et toi, tu penses à quelle rencontre, là, maintenant ?
Je vous laisse avec cette question, et je vous dis à très bientôt.
Tendrement,
Charlotte
Liens & crédits :
Image qui accompagne cet éclat et l’enregistrement : Cette lune, je l’ai capturée à Bruxelles, Février 2025.
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